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Lucifugus Merklen

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Les pièges à humains de Lucifugus Merklen

 

Lucifugus Merklen est l'un des plus provocateurs de nos sculpteurs Dans sa Boucherie Humaine, il crée depuis vingt ans ses fameux pièges à humains. Et nous transmet avec humour un message iconoclaste et rafraîchissant sur les objets qui nous entourent, l'art, l'amour et la mort.

 

Pleurs, petit village de la Marne. Au coin des rues de la Libération et des Tranchées (rebaptisées rues de la Libération sexuelle et des Têtes tranchées), s'élève la Boucherie Humaine de Lucifugus Merklen. Dans cette campagne très France profonde, la vision de la façade est carrément surréaliste avec sa guillotine, ses crânes humains, sa vraie-fausse compression de César et sa collection de sous-vêtements féminins. A la fois maison, atelier et galerie, cette ancienne boucherie regorge d'objets et de souvenirs plus étonnants les uns que les autres, qui témoignent de vingt années de création de cet artiste pour le moins hors du commun. Avec bien sur quelques-uns des pièges à humains qui ont fait sa réputation. "Ce qui m'intéresse, c'est de faire bouger les gens, d'inciter leur curiosité pour les faire réagir", explique Lucifugus. Difficile effectivement de ne pas se laisser prendre aux pièges. Soufflez dans la trompette à appeler les femmes. Vous recevrez en retour un jet de farine dans la figure. Asseyez-vous sur le banc comme on vous y invite. Il se dérobera et vous vous retrouverez les fesses dans l'eau. Faites tourner la manivelle de cette mystérieuse machine. Une décharge électrique vous fera sursauter. Passez outre l'interdiction et essayez de toucher le nez de l'amour au fond de sa cage en verre. Une mini-guillotine se refermera sur votre poignet. "Une sculpture ne vit que si on la touche, affirme Lucifugus. Mais la véritable sculpture, c'est le 100e de seconde où la personne se fait prendre, son regard de plaisir, de douleur ou de haine envers l'objet et l'artiste. L'objet n'est rien. L'art, est dans le plaisir qu'il provoque". Une idée qu'illustre bien une autre devise chère à notre sculpteur à monocle: "L'art est de faire beau. Le plaisir est-il beau?"

 

D'origine alsacienne, Merklen n'a découvert sa vocation de sculpteur qu'à 33 ans. "A 4 ans, je préférais dessiner qu'écrire. Mais la société étouffe notre créativité. La femme a un système de créativité naturel. Quant à l'homme, la plupart, du temps, il se castre de sa créativité par peur de paraître marginal. Pourtant, la société ne pourra évoluer que grâce aux idées des marginaux". A 17 ans, Merklen quitte ses parents et entreprend un CAP de boucher-charcutier : "Ayant souffert de la faim pendant la guerre, je voulais un métier qui m'assure de ne jamais crever de faim". Il exerce ensuite les métiers les plus divers: guide dans le Sahara, directeur d'une briquetterie en Guyane, puis vendeur d'appartements. "Avec vue sur la cour des exécutions de la prison de Fresnes, précise ce militant abolitionniste qui a accroché une guillotine sur la façade de sa Boucherie humaine. En un an, je n'en ai pas vendu un seul". Son beau-père, haut-fonctionnaire, lui trouve alors un travail dans une compagnie d'assurances et l'installe avec sa femme et ses enfants dans un hôtel particulier de Neuilly. "Je roulais en Porsche mais je m'ennuyais terriblement. J'ai donc commencé à dessiner et à fabriquer des horloges. Et j'ai réussi à convaincre mon patron, Raymond Juteau, de me laisser du temps pour créer. C'est le seul véritable mécène que j'ai connu. Je lui demandais un mi-temps. Il m'a accordé cinq ans à plein temps".

 

Mis à la porte de chez lui par son beau-père, Lucifugus cherche un atelier d'artiste... et tombe finalement sur l'ancienne boucherie de Pleurs. Depuis il expose en moyenne 10 à 12 fois par an. Les horloges l'ont en effet amené à étudier le mouvement en sculpture. Il découvre Calder et la poésie de son célèbre Cirque, Tinguely et ses machines aux mouvements programmés. Germe alors l'idée de fabriquer des pièges à humains. A travers ceux-ci, au-delà du premier degré provocateur, il transmettra à des milliers de piégés un message original sur le rapport aux objets dans notre société. "Toute notre hiérarchie sociale est basée sur l'objet et sa détention, déplore-t-il. Mais le bonheur se crée et se ressent. Il n'est pas lié à la fortune et au bien-être dérisoire que nous donnent les objets. Et à force d'être déifiés, les objets deviennent des pièges. Ils se retournent contre l'être humain. La voiture par exemple, condense tous les pièges qu'on peut mettre dans un objet. Le platane à 120 à l'heure. Les années de vie gâchées pour la payer. L'infarctus qui nous guette à 40 ans parce qu'on ne peut pas faire 200 mètres sans elle. Les femmes à qui on oublie de faire la cour parce qu'on préfère la briquer..."

 

Epicurien qui adore les femmes et le bon vin, Merklen reproche aussi à cette dictature de l'objet de nous avoir fait oublier des bonheurs simples: les gens ne prennent plus le temps de regarder une tulipe, de caresser une statue, de s'aimer et de se donner du plaisir les uns les autres. "Pourtant, les femmes adorent ça", sourit ce fondateur du Club des Fantasmalisateurs, qui se proposait d'aider ces dames à réaliser leurs fantasmes. Plutôt que d'écrire une thèse sur les objets, Merklen a donc préféré nous confronter à leur dimension "piège" à travers ses sculptures ludiques. Sans jamais se prendre au sérieux, il rend ainsi son message accessible à tous. "Les artistes doivent renvoyer à la société une image plus ou moins déformée et caricaturée. Malheureusement, en ce moment, beaucoup d'artistes ne se préoccupent même plus de savoir si les gens comprennent leurs oeuvres"

 

La créativité débordante de Merklen lui a fait accoucher de pièges de toutes sortes, utilisant les matériaux les plus divers. Le ferrailleur du coin est son fournisseur privilégié et parmi les 17 pièces de sa Boucherie Humaine, on compte donc une ferronerie, une menuiserie et une salle des machines. S'il semble avoir une affection particulière pour l'électricité et le bleu de méthylène, notre sculpteur au monocle est cependant toujours à la recherche de nouvelles idées. Lors de notre visite, il réfléchissait à ce qu'il pourrait bien faire d'un frelon mort et de petits pétards pour enfants. Réponse peut-être lors de sa prochaine expo. Bien sûr, le goût de Lucifugus pour la provocation l'a amené à utiliser sa créativité dans d'autres domaines que la sculpture. Entre performances et pièces de théâtre interactives, certaines de ses mises en scène ont suscité des réactions passionnées. Son "petit chien" notamment. Merklen a failli se faire écharper à la FIAC lorsqu'il a promené en laisse cette femme vêtue de noir et masquée par une cagoule également noire. "Mes petits chiens représentent deux symboliques intimement liées, explique-t-il. L'amour et la mort. La mort, je la traîne toujours derrière moi, comme tout le monde. Et quand je suis amoureux, je perds à la fois les autres femmes et mes amis. Ne dit-on pas aussi la petite mort en parlant de l'orgasme. Pourtant, les gens ne veulent pas admettre que l'amour et la mort soient liés, car la mort est tabou".

 

Sur le marché de Reims, Lucifugus a vendu des esclaves enchaînés en face de l'ANPE. "Quelques personnes ont pris ça au sérieux, d'autres à la rigolade. Et deux personnes m'ont demandé de monter sur l'estrade. L'une d'elles a trouvé un boulot". Logiquement, l'unique propriétaire français d'une boucherie humaine a aussi vendu de la viande d'homme. "Je voulais me moquer du système électoral. Des crânes avec des vers sortant des orbites représentaient l'éligible, et des petites cervelles de mouton l'électeur vu par l'éligible. Un vrai boucher a pris ça au sérieux et voulait nous fendre la tête avec son hachoir". Scandalisé par la façon dont les gens abandonnent leurs parents dans des hospices, Merklen a également en projet d'organiser une vente de personnes âgées: "Offrez-vous un petit vieux pour les fêtes".

 

Après plus de 20 ans passés à Pleurs, Merklen déménage ces jours-ci pour l'Auvergne. Les acheteurs de la Boucherie humaine ont heureusement le bon goût de conserver sa façade. Nous n'en dirons pas autant du Musée d'Art moderne de Troyes, à qui Lucifugus pensait faire don de son étal, de ses crochets de bouchers et des mille trouvailles de sa vitrine. "Ils étaient intéressés, raconte Merklen, qui est de toute façon fâché depuis longtemps avec la culture institutionnelle. Mais ils ont eu le culot de me demander de remplir tout un tas de formulaires". Tant pis pour les Troyens qui voient ce morceau singulier de leur patrimoine culturel quitter la région. Quant aux parisiens qui aimeraient se faire piéger, qu'ils sachent que Merklen est présent tous les ans au salon "Grands et jeunes" du Grand Palais. Avis aux amateurs. 

 

François Lecointre

 

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Luc Merklen en 1972